Médiation Jonglage et manipulation d’objet en psychomotricité

Extrait de l’article complet : D’Ignazio A., Faideau G. (2015) Le Jonglage. Manuel d’enseignement de psychomotricité Vol. 2 Méthodes et techniques, 491-497, Bruxelles : De Boeck-Solal.

Un peu d’histoire…

Le jonglage (ou la jonglerie) est l’une des plus anciennes pratiques artistiques humaines pour laquelle nous disposons de vestiges. Des traces archéologiques ont été retrouvées dans toutes les régions du monde et certaines représentations remontent à l’Egypte ancienne (2000 avant J.C.). On y distingue des femmes jongleuses, en pleine performance, les yeux rivés en l’air vers des objets sphériques.

 

 

Balle et psychomotricité

Les expressions courantes « prendre la balle au bond », « se renvoyer la balle », « la balle est dans votre camp » ont toutes un rapport avec la communication, les relations interpersonnelles et évoquent le dynamisme. (D’Ignazio, 2007).

La sphère, objet parfait et symbole astral (terre, soleil,…) est également évocateur de mouvement et de mobilité permanente.

La balle est présente aux quatre coins du monde, dans les lieux de loisirs, de sport, et d’éducation. Elle s’adapte aux époques, aux lieux et aux climats. La balle est également l’élément commun à toutes les salles de psychomotricité. De notre point de vue, la balle est l’ « objet psychomoteur » par excellence. La manipulation de balles permet une stimulation des fonctions neurophysiologiques tout en s’appuyant sur un abord relationnel, ce qui constitue un excellent médiateur en psychomotricité. L’objet « balle », commun et témoin de la relation existante entre deux personnes, est créateur d’un espace intermédiaire illustrant la notion de médiation psychomotrice. (Potel, 2006).

L’acte de jongler est extrêmement riche au niveau neuromoteur. Les trajectoires de balle sont assurées par la dextérité bimanuelle et la rythmicité des lancers. Le couplage oculo-postural est maintenu par les saccades oculaires et le maintien de l’équilibre du corps. Tout cela s’actualisant perpétuellement par des rétrocontrôles sensoriels dans une dimension spatio-temporelle. (Corraze, 1987 ; Senot & all, 2005).

Cette aptitude à jongler, décrite comme relevant du niveau expert par les études portées à ce sujet  (Baures, 2007 ; Paul Rey, 2013), semble bien trop complexe pour être abordée de la sorte avec nos patients. Nous distinguons très clairement l’action de jongler dans un cadre sportif ou artistique (désignant l’exercice d’adresse consistant à lancer et rattraper de manière continue des objets en l’air) de la manipulation de balles proposée en thérapie psychomotrice. Nous pensons en effet qu’apprendre à jongler ne constitue pas un objectif thérapeutique en soi. Notre pratique se base davantage sur des applications simplifiées et adaptables des techniques de la jonglerie, tout en majorant leur aspect ludique et relationnel. Mais comment manipuler des balles de façon pertinente sans savoir jongler pour autant ?

 

Pour nous guider, nous proposons une modélisation des actions multiples et réalisables avec « un objet jonglé ».

Exemples de dispositifs :

 

  • Instabilité psychomotrice

Maintenir une balle en équilibre sur une partie de son corps est une forme de jonglerie.

L’intérêt de cet exercice est qu’il invite à l’immobilité et suggère l’inhibition motrice. L’enfant hyperactif devra faire l’économie de ses mouvements parasites pour maintenir la tenue des objets sur son corps. Le contrôle respiratoire et la régulation tonico-émotionnelle sont ainsi travaillés. La chute des balles servant de rétrocontrôle ludique aux éventuelles défaillances de l’enfant.

Les balles molles et les sacs lestés sont préconisés pour cet exercice, pouvant s’inclure dans des parcours psychomoteurs une fois l’immobilité maitrisée.

 

  • Exercice de jonglage et troubles spécifiques des apprentissages / troubles d’acquisition des coordinations.

Les figures jonglées étant complexes à décrire à l’aide de simples mots, un langage précis est créé en 1985 : le siteswap. Traduction de l’anglais « changement de site », il s’agit d’un « langage jonglé » spécifique pour codifier simplement les mouvements complexes permettant la réalisation d’une figure (Durand & Pavelak, 1999). Chacun des types de lancer est codé par un chiffre :

Ainsi, le  chiffre « 1 » correspond au dépôt  d’une balle d’une main à l’autre sans lancer, le chiffre « 2 » correspond à un lancer vertical initié et rattrapé de la même main, « 3 » correspond à un lancer en cloche d’une main à l’autre.

Le siteswap traduit lisiblement le « quoi, quand, qui ». Par exemple, nous pouvons littéralement jongler la séquence 1,2,2,3,1,2 en effectuant la séquence de lancers dictée par le code, en alternant toujours main droite et main gauche.

Intarissable source d’inspiration et d’échange pour le jongleur, le siteswap devient un véritable outil pour le psychomotricien. Les mouvements opérants dans la jonglerie oriente le corps propre, et structure les lancés dans une temporalité.

Dans le cadre d’un trouble des acquisitions scolaires, nous renouons avec les chiffres en leur donnant du sens, et de l’intérêt par le plaisir du mouvement associé.

Dans le cadre d’un trouble d’acquisition des coordinations, les suites de chiffres écrits apportent un appui visuel à la tâche. Il s’agit alors d’un travail de renforcement cognitif, imposant au sujet une représentation mentale du geste à effectuer. Par ce travail, nous « imposons » au sujet un effort de pré-programmation du geste pour en faciliter par la suite son automatisation.

Dans une étape suivante, si l’exercice est maitrisé,  nous pouvons faire l’économie du support visuel et citer oralement une séquence de chiffres à l’enfant. L’intérêt étant alors de coupler le travaille de programmation gestuelle à celle de la mémoire de travail.  Il est également possible que l’enfant soit à son tour le « guide ».  C’est alors lui qui dictera une séquence au thérapeute. Le travail de rotation mentale qu’il va devoir effectuer pour vérifier l’exécution du thérapeute est aussi complexe que ludique pour lui lorsqu’il ne manquera pas de signaler les « erreurs » qu’il détectera chez l’adulte.

Nous constatons que le séquençage de cet exercice améliore la fluidité au geste entrepris. Les adaptations gestuelles et posturales  observables permettrons d’étendre l’organisation motrice de l’apprenti « jongleur ».

(…)

  • BAURES,  R. (2007). Influence de la gravité sur la perception et l’interception d’objets en mouvement, Thèse de Doctorat.
    BELLIA, V. (2001). Il setting nei gruppi di danzamovimentoterapia, Milano. p. 55
  • CORRAZE, J. (1987). Neuropsychologie du mouvement, Masson, Paris.
  • CRAMER, SC., ELLIS W., SHAYWITZ SE., SHAYWITZ BA. (2003). Unlocking learning disabilities: The neurobiological basis, Learning disabilities, Baltimore.
  • DURAND, F.  Pavelak, T. (1999). Le corps jonglé, l’entretemps, p.20
  • D’IGNAZIO, A. (2007). La balle en thérapie psychomotrice, Mémoire en vue de l’obtention du D.E, Paris.
  • HARRIS, A.J. (1958). Test de latéralité, Paris : ECPA.
  • LESAGE, B. (2006). La danse dans le processus thérapeutique, Erès, p.113
  • PAUL REY, F. (2013). Les sciences du jonglage, Agilius, Paris.
  • POTEL, C. (2006). Corps brûlant, Corps adolescent, Eres, Paris.
  • SENOT, P., ZAGO M., LACQUANITI F., MCINTYRE J. (2005). Anticipating the effects of gravity when intercepting moving objects: differentiating up and down based on nonvisual cues. J Neurophysiol 94 : 4471-80.
Aurélien D’Ignazio et Grégory Faideau, psychomotriciens, enseignants-formateurs et jongleurs pratiquants.

Aucun commentaire

Vincent

Super article dans sa dimension théorico-pratique (clinique). De nouveaux exercices sont désormais dans mon bagage professionnel ! Thanks

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