Nous évoquerons quelques données sur l’écriture « à l’envers », susceptible de s’observer ponctuellement chez les enfants.
Nous nous intéresserons plus particulièrement à l’inscription des chiffres en miroir et partagerons nos idées de remédiation en tant que psychomotriciens, professionnels de santé spécialisés dans la rééducation de l’écriture (Décret n°88-659, 1988).
L’écriture en miroir
Nous pouvons observer chez certaines populations pathologiques (porteuses de lésions cérébrales par exemple), une écriture en miroir plus fréquente que les autres, attribuable à des dysfonctionnements dans la coordination des hémisphères cérébraux (Buxbaum, 1993 ; Schott, 2007). Néanmoins, nous nous intéresserons ici à ce phénomène au sein de l’aspect développemental.
L’écriture en miroir est courante chez les jeunes enfants, en particulier ceux en phase pré-scolaire et en début de scolarité (environ 4-6 ans).
On retrouve chez ces enfants une incidence plus élevée mais cette tendance diminue significativement avec l’âge et la pratique de l’écriture (Fisher et al. 1981), s’inscrivant donc dans un processus normal de maturation.
Les erreurs en miroir sont évidemment présentes au niveau des caractères asymétriques (1, 3, 6, 9, 5, P, B, S…).
Par facilité, un enfant peut avoir tendance à initier l’inscription de tous les chiffres « du même côté ». En cherchant à écrire un 3 de droite à gauche (à la façon d’un 6 par exemple), cela entraînera un de ces fameux chiffres « en miroir ».
Plus fréquente chez les gauchers ?
Cornish et McManus (1996) indiquent une écriture en miroir légèrement plus fréquente chez les gauchers, s’expliquant davantage par des facteurs environnementaux que par leur configuration cérébrale spécifique.
On observe notamment un enseignement de l’écriture orienté préférentiellement pour les droitiers (ne serait-ce que par la dominance latérale statistiquement majoritairement à droite des enseignants). Les probabilités d’inversion augmentent donc pour les gauchers, plus exposés lors de leur apprentissage à des modèles de réalisation effectués par et pour des droitiers.
De plus, la coordination entre la main dominante et la perception visuelle jouant un rôle crucial dans l’écriture, l’inconfort de certaines adaptations posturales du gaucher pourrait faciliter les risques d’inversion des tracés (le poignet parfois en hyperflexion ; l’inclinaison de la feuille majorée ; la translation de l’avant-bras moins naturelle lors de l’écriture car le gaucher « pousse » sur sa feuille alors que le droitier « tire » ; etc.).
⚠️ Ainsi, l’écriture en miroir est une phase normale du développement du graphisme chez tous les enfants et tend à diminuer avec la pratique et l’expérience, indépendamment de la main dominante.
En règle générale, il n’y a pas d’inquiétude à avoir avant la fin du CP.
Apprendre à tracer les chiffres
Deux composantes différentes mais intriquées interviennent lors de cet apprentissage :
- la dimension cognitive et perceptive : l’enfant doit apprendre à reconnaître la forme et l’orientation de chaque caractère ;
- la dimension motrice : l’enfant doit apprendre et mémoriser (apprentissage dit procédural) le programme moteur de chaque caractère : quelles unités graphiques le composent (traits, boucles…), dans quelles directions et dans quel ordre.
Tant que ces deux paramètres ne sont pas totalement acquis et automatisés, les erreurs sont fréquentes.
Un enfant peut en effet être capable de reconnaître efficacement les chiffres mais se trouver en difficulté au moment de les tracer .
Concernant les pré-requis, nous évoquerons également l’orientation spatiale , notamment la connaissance de la droite et de la gauche sur soi. L’enfant devra en effet être en mesure de projeter ses repères spatiaux (intégrés au niveau corporel) sur sa feuille pour comprendre la « juste » orientation des éléments.
Comment faciliter l’apprentissage du bon sens des chiffres ?
Les enfants d’âge scolaire qui réalisent des chiffres à l’envers, n’ont pas tant une difficulté à effectuer des tracés dans différents sens de rotations (ce que nous vérifions par ailleurs chez les plus jeunes lors du bilan graphomoteur), ils ont surtout une difficulté à savoir où débuter leur trait d’attaque et dans quelle direction l’orienter.
Il est donc nécessaire de repasser par un apprentissage explicite des ductus (= l’ordre et la direction des traits composant le chiffre) qui facilitera leur bonne réalisation et stabilisation.
Nous pouvons regrouper les chiffres selon certains principes d’isomorphisme (= l’entraînement des lettres par groupes de formes similaires) :
- ceux ayant une progression de la gauche vers la droite (1, 2, 3, 7) ;
- ceux ayant une progression de la droite vers la gauche (4, 6) ;
- ceux démarrant par un rond (0, 8, 9) où il convient de démarrer en haut à droite et de tourner dans le sens anti-horaire ;
- Le 5 est un cas particulier car il peut être réalisé selon deux modalités différentes (un départ le bas ou vers la gauche).
Quelles pistes en rééducation ?
En première intention, il peut être utile de s’assurer de la bonne discrimination d’un caractère cible. Sur l’exemple du « 3 », nous pouvons proposer à l’enfant d’entourer les 3 dans le bon sens et de barrer les « mauvais sens » parmi une liste aléatoire, afin de renforcer ce préalable visuo-perceptif.
À partir du CE1, s’il subsiste des hésitations et/ou des réalisations en miroir récurrentes, il est nécessaire d’analyser les erreurs commises par l’enfant pour pouvoir y remédier efficacement.
Notre action consistera globalement à redonner des repères spatiaux clairs, dont voici deux exemples de méthodes efficaces :
- Nous tendrons vers un nouvel apprentissage plus précis par regroupements stratégiques, à l’aide des principes d’isomorphisme ;
La psychomotricienne Marie-Alix de Dieuleveult aborde cela au moyen d’une surface (feuille ou tableau) séparée d’un axe vertical, en expliquant à l’enfant qu’il y a les chiffres gauchers (1,2,3,7) qui commencent à gauche, les droitiers (4,6,9,5) qui commencent à droite et les indécis qui commencent au milieu (0,8).
Des supports variés et des modalités différentes de feedbacks peuvent être utilisés pour apporter plus de « fun » à ce genre d’entraînement (sur grand tableau, avec le doigt sur des gabarits texturés, sur tablette tactile, les yeux fermés…). Au regard de l’âge de l’enfant, nous privilégierons néanmoins les contextes écologiques au plus proche de la situation attendue en milieu scolaire (papier/crayon sur feuilles lignées) pour maximiser les chances de généralisation.
- si les difficultés sont restreintes à certains chiffres, le recours à des stratégies spécifiques, de type repères mnémotechniques et/ou création d’image mentale se basant sur des analogies, en facilitera la modification et sa mémorisation.
En voici quelques exemples :
Sachant bien évidemment que plus l’enfant trouvera sa propre image, plus elle sera évocatrice et mémorisée facilement !
Aurélien D’Ignazio et Juliette Martin, psychomotriciens D.E
Contenu extrait de notre ouvrage « Rééduquer l’écriture » à paraitre en octobre 2024
Merci à Marie-Alix de Dieuleveult et Grégory Faideau pour les idées complémentaires 🙏
Bibliographie
Buxbaum, L. J., Coslett, H. B., & Schall, R. R. (1993). Mirror writing: An effect of the spatial relationship between the hand and the page. Brain, 116(2), 471-486.
Cornish, K. M., & McManus, I. C. (1996). Hand preference and hand skill in children: The development of measures and the relationship between the two. British Journal of Educational Psychology, 66(3), 375-387.
Fischer, K. W., & Koch, E. (1981). Mirror writing in children: A developmental study. Brain and Language, 13(1), 35-46.
Schott, G. D. (2007). Mirror writing: neurological reflections on an unusual phenomenon. Journal of Neurology, Neurosurgery, and Psychiatry, 78(1), 5-13.
Décret n°88-659 (1988) : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000693097
Merci beaucoup pour cet article ! Hâte que votre ouvrage paraisse 🙂
Bonjour, Ce sujet est très bien et aussi très bien expliqué même s’il ne s’agit que d’une petite partie de l’ouvrage. J’espère pouvoir lire cet ouvrage.